Eric Trappier satisfait. C’est l’image que l’on devait retenir de ce lundi 4 mai 2015. Celle d’une France industrielle fière de ses exportations et des milliers d’emplois qui vont être créés. Et pourtant ce fut tout l’inverse.
Chronique d’une polémique annoncée
Dassault Aviation annonçait hier fièrement que le Qatar se portait acheteur de 24 avions de combat Rafale. C’est 27 ans après le lancement du programme et moins de deux mois après la signature du premier contrat d’exportation avec l’Egypte, qu’une nouvelle commande vient embellir le ciel militaire français.
Pourtant, ce n’est ni de Dassault ni d’emploi dont il était hier question, mais bel et bien d’aviation civile et de compétition aérienne. Et surtout d’Air France.
Le contrat qatari était, chacun le sait, tout sauf une simple commande sèche et on sait très bien que ce type de vente stratégique est systématiquement assortie de diverses options telles qu’une coopération militaire de plusieurs dizaines d’années, de transferts technologiques – maintenance, pièces détachées, etc … – et de contrats civils.
Qatar Airways au coeur du mécontentement populaire
Qatar Airways est une des plus grande fierté de ce petit Etat du Golfe. La compagnie créée il y a moins d’un quart de siècle connait aujourd’hui un essor inouï et propose à ses passagers une qualité de service rarement égalée.
On savait que le Qatar exigeait une augmentation de ses fréquences en France pour Qatar Airways avant de signer un quelconque contrat concernant l’avion de combat.
François Hollande a fait spécialement le déplacement à Doha – on peut se demander pourquoi – avec Jean-Yves Le Drian à l’occasion de la signature de ce contrat. Il déclarait en marge de la cérémonie que les négociations n’avaient porté que sur « l’avion et les matériels qui doivent l’équiper ». Il faut évidemment être d’une mauvaise foi sans borne pour prêter le moindre crédit à cette déclaration présidentielle.
La réalité est que la compagnie qatarie est en discussion depuis des années pour réclamer ces augmentations de fréquences sur le territoire français. Le chef ce l’Etat l’avouait d’ailleurs à demi-mot en affirmant qu’ « il est assez légitime qu’il y ait des discussions et des négociations pour qu’un certain nombre de lignes aériennes puissent être ouvertes en faveur de pays qui permettent aussi d’acheminer un grand nombre de touristes et nul doute que les villes de Nice et de Lyon sont particulièrement demandeuses de ce type d’attribution ».
C’était ici.
La concurrence : le véritable leitmotiv du débat
La formule ci-dessus a été travaillée pour escamoter Air France et la remplacer par les grands bénéficiaires d’éventuelles nouvelles fréquences : les aéroports de province.
Vendre des avions ou préserver la chasse gardée d’Air France ? La question se pose régulièrement pour l’avionneur français, qui ne se gène pas pour vendre des dizaines d’Airbus A380 aux compagnies du Golfe comme Emirates, Etihad ou Qatar Airways.
Le SNPL se fendait d’ailleurs hier soir d’un communiqué assassin, dénonçant la « mort à terme » du secteur aérien si la compagnie qatarie obtenait de nouvelles fréquences. La demi-mesure, un atout du SNPL bien connu du grand public, surtout lorsqu’on se remémore la grève de septembre et les millions d’euros que le syndicat a coûté à la compagnie tricolore.
Parlons-en de Qatar Airways. La compagnie concurrence Air France sur une douzaine de destination asiatique. Dans le même temps, la compagnie française dessert pas moins de 230 destinations dans le monde.
Plusieurs remarques à cela.
- Qatar Airways subventionnée ?
Oui, c’est une évidence.
On sait très bien que des leviers d’investissement obscurs existent et il est normal de vouloir les dénoncer mais là encore le débat est ailleurs : les compagnies européennes ayant leurs sièges sociaux en Europe et relevant ainsi des règles européennes en plus des règles internationales sont bridées par nature sur d’éventuels soutiens étatiques de leur activité.
C’est un débat de fond qui relève des compétences de chaque État membre de l’Union Européenne, États qui ont tous signé les accords de libre concurrence et de concurrence non faussée entre les entreprises de la zone. On voit bien le schéma qui s’est mis en place : les aides étatiques sont interdites en Europe alors qu’elles sont largement légion aux Etats-Unis et dans les pays du Golfe et d’Asie.
Mais on est ici très loin des avions.
- Concurrence : que fait Air France ?
La stratégie de hub unique mise en place par Air France depuis maintenant une trentaine d’années est peut-être arrivée à ses limites et il serait temps de s’en apercevoir.
En effet, mis à part les six millions de français qui résident en Ile-de-France, les passagers « au départ » qu’elle transporte chaque jour sont amenés à transiter par les hubs de Paris CDG ou de Paris Orly.
Or, on voit bien que, le plus souvent, pour un passagers, un escale est égale à une autre escale.
Alors si le vol direct est le plus souvent privilégié par les passagers, dès lors qu’une escale doit être effectuée quelque part, il importe peu de savoir si celle-ci se fera à Paris, Francfort, Dubai, ou Doha. Sauf à créer des mini-hub à l’image des bases province mais on en a largement mesuré l’échec. En partie dû au fait que les passagers « à l’arrivée », eux, se rendent le plus souvent à Paris.
Une compagnie aérienne ne peut pas se baser exclusivement sur ses passagers nationaux et Qatar Airways en est le meilleur exemple.
Et le Rafale dans tout cela ?
- Le principal argument d’Air France est l’affaiblissement de la Compagnie. Certes. Dans le même temps Dassault affirme pouvoir créer plus de 3000 emploi – en propre et chez ses sous-traitants. N’est-ce pas là ce qui compte le plus à l’échelle d’un pays ? Dans le même temps du côté de la compagnie nationale on accumule, encore et encore, les plans de départs volontaires.
- Toujours sur le front de l’emploi : n’est-ce pas une bonne nouvelle aussi si Qatar Airways ouvre une escale à Lyon et réouvre Nice ? Cela sera certainement l’occasion d’embauches supplémentaires sur le territoire. Sans parler bien entendu des offres tarifaires de lancement comme cela a été le cas récemment sur Amsterdam. De véritables opportunités pour les voyageurs fréquents !
- Dassault vendait il y a quelques semaines 24 avions à l’Egypte et 36 à l’Inde. De mémoire, il ne me semble pas avoir entendu le SNPL ou les communicants de la compagnie nationale s’interroger sur l’opportunité des augmentations de fréquences pour Egyptair et Air India, probablement négociées en parallèle de la signature de ces deux importants contrats.
Conclusion
Il y a un véritable lien affectif avec Air France, Fleuron de la Nation. Tout comme Dassault d’ailleurs. En parallèle de ce fort lien affectif, il existe une réelle aversion contre le Qatar, pays violemment engagé dans la défense de ses intérêts et à l’intégrité parfois douteuse.
Et pourtant, en 2015, il faut se rendre à l’évidence. Il y a l’une des deux compagnies qui fait d’avantage rêver que l’autre. Et si finalement la vente d’avions Rafale et la création de 3 000 emplois encouragent le développement de compagnies aériennes sûres, bon marché et offrant une telle qualité de services, il conviendra alors de voir d’un oeil peut-être un peu plus clément la signature de ce contrat.
Tyler.