Le blog Tyler Birth accueille avec cette première publication un nouveau contributeur occasionnel. Anthony Fontan, fondateur et auteur de la page Facebook Aviation Geeks Tahiti, nous fera le plaisir de nous faire partager son expérience et ses connaissances en matière d’aérien. Il nous livrera de manière ponctuelle ses impressions et ses analyses axées sur le marché polynésien. En intégrant l’équipe, Anthony est le quatrième contributeur nous permettant ainsi de vous proposer une actualité aérienne et hôtelière complète et francophone.
YQ : le devenir de la surcharge carburant en 2016 !
Ces deux lettres ne vous sont peut être pas familières, mais pourtant vous les connaissez sans le savoir. Dans le jargon tarifaire aéronautique, YQ désigne la surcharge carburant, cette nébuleuse qui pèse lourdement sur le prix de votre billet d’avion. Elle est parfois dénommée YR (chez Air France par exemple).
A quoi correspond la surcharge carburant ?
Aircalin a annoncé il y a quelques jours la baisse de sa surcharge carburant et a diffusé dans son communiqué de presse une petite fiche didactique très instructive :
Cette fameuse surcharge carburant date de 2004, créée à une époque où le prix du baril de pétrole s’envolait, et permettait aux compagnies de faire face à l’augmentation de leurs frais. La démarche à cette époque était claire : le prix du billet d’avion augmente, le responsable est individualisé dans cette surcharge : le coût du carburant.
Mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, le prix du baril est redescendu de manière durable et cette surcharge existe toujours et peine à redescendre. Il s’agit maintenant d’un vaste amalgame de frais pas toujours très clair pour le grand public, servant de variable d’ajustement à la compagnie dans le prix du billet.
D’ailleurs certaines compagnies refusent désormais d’appeler cette YQ “Surcharge Carburant”, cette dénomination ayant une connotation bien trop négative dans l’opinion publique. Air France par exemple a répondu à la lettre ouverte du Syndicat National des Agences de Voyages demandant la suppression de la Surcharge Carburant en janvier 2015, que celle ci n’existait déjà plus dans sa nomenclature mais était remplacé par une “Surcharge Transporteur”. Ce n’est qu’une question de sémantique qui ne change rien à cette surcharge toujours dénommée YQ (ou YR ce qui est la même chose) dans la tarification du billet et qui pèse de la même façon dans le prix final. Mais cela illustre aussi que cette surcharge est désormais bien plus vaste que la simple compensation d’une hausse du prix du pétrole.
Taxes et surcharges dans un billet Air France entre Tahiti et Paris aller retour en Eco : la surcharge carburant laisse place à la surcharge transporteur
Pourquoi cette surcharge ne baisse t-elle pas assez vite ?
Tout d’abord, le prix du baril de pétrole n’est qu’une composante du prix du kérosène. Le coefficient de raffinage est élevé avec un coût de raffinage qui ne baisse pas. De plus, des frais supplémentaires (add-on) sont facturés à la compagnie par les compagnies pétrolières pour les services en aéroport : transport et stockage du kérosène, avitaillement… Les add-on ne baissent pas, au contraire, et à Tahiti comme dans la plupart des outres mers, ces add-on sont plus élevés qu’ailleurs. Mais tout cela ne fait qu’estomper la baisse sans l’effacer.
La couverture carburant est une pratique répandue chez de nombreuses compagnies (mais pas toutes) visant à lisser les effets des variations du court du pétrole sur une longue période. La compagnie achète par avance à un tarif négocié et fixé à l’avance de grandes quantités de kérosène réparties sur plusieurs mois. Cela permet à la compagnie d’amortir les effets d’une hausse du prix du baril, mais à l’inverse retarde les effets d’une baisse du prix ! Certaines compagnies comme Air Tahiti Nui ou American Airlines ont un taux de couverture très faible ou nul, une baisse du prix du baril se traduit immédiatement dans les comptes de la compagnie et celle ci peut si elle le souhaite le répercuter rapidement sur le prix du billet. A l’inverse une compagnie comme Air France a un taux de couverture important et ne tire pas bénéfice rapidement de cette baisse, la répercussion sur la surcharge carburant et le prix du billet met plus de temps à venir.
Il faut également mentionner l’effet de change, le prix du baril est fixé en US Dollars, dont le taux est monté par rapport à l’Euro.
Mais la raison principale est plus terre à terre : l’industrie aéronautique est une industrie à faible marge, malgré des coûts très importants, le bénéfice ne représente à peine que quelques pourcents du chiffre d’affaire. Alors quand des jours meilleurs se présentent, que les frais de la compagnie baissent, la tentation est forte d’en profiter pour augmenter les bénéfices avant de répercuter la baisse pour les passagers. Une compagnie aérienne n’est pas une organisation philanthropique, c’est une entreprise dont l’objectif est de dégager des bénéfices, nous vivons dans une économie de marché, c’est comme ça.
A Tahiti, elle baisse petit à petit.
En l’espace d’une semaine 2 compagnies ont annoncé une baisse de leur surcharge YQ.
Aircalin la semaine dernière a ramené cette dernière à son niveau de 2010, faisant baisser le prix d’un aller retour vers Nouméa de 5000 XPF environ, soit 35% de baisse de la surcharge YQ.
Air Tahiti Nui vient d’annoncer une baisse de 20% de cette surcharge sur la ligne Tahiti Paris, soit environ 12 000 XPF d’économie. Une précédente baisse sur cette même ligne avait eu lieu l’année dernière. Air France avait mis un peu de temps à réagir (à cause de la couverture carburant dont nous avons parlé) mais s’était aligné. Il devrait en être de même cette fois ci d’ici quelques temps.
La surcharge YQ devrait passer de presque 60 000 XPF à 48 000 XPF environ, ce qui représente encore plus du quart du tarif d’appel, ce qui rend cette surcharge toujours trop importante aux yeux de la plupart des gens, malgré cette baisse significative.
Ailleurs dans le monde, cette surcharge tend à disparaître.
Durant l’année 2015, de nombreuses compagnies ont annoncé la fin de leur surcharge carburant.
Près de nous, Qantas a annoncé supprimer cette surcharge dès janvier 2015. Une suppression en trompe l’œil d’un certain coté, la surcharge a été intégrée au tarif de base, ce qui n’a pas changé le tarif final du billet, mais a clarifié la tarification avec le prix du billet d’un coté, et les taxes (les vraies) de l’autre. Nous allons voir que cette démarche n’est pas sans conséquence avantageuse pour le passager.
En Asie et toujours en 2015, de nombreuses compagnies ont baissé puis complètement annulé leur surcharge carburant, en Chine, au Japon…
La surcharge YQ, une taxe qui n’en est pas une !
Alors pourquoi certaines compagnies conservent-elles cette surcharge à une époque où sa raison d’être initiale a disparu ? Il serait plus simple de l’intégrer au prix du billet et tout le monde serait content… Pas si sûr du coté de la compagnie.
Cette YQ apparaît dans la rubrique “taxes et surcharges” mais ce n’est pas une taxe. Une surcharge carburant fait partie intégrante du prix du billet, au contraire des “taxes” proprement dites, qui sont perçus par la compagnie mais reversées aux autorités, aux aéroports, etc…
Exemple de composition tarifaire d’un billet Air Tahiti Nui (avant la baisse de la surcharge carburant du 15 février 2016)
La compagnie trouve un avantage tarifaire à cette pratique. Les taxes et surcharges restent payantes dans le cadre d’un billet prime, émis grâce à vos miles accumulés sur votre compte de fidélité. Ceci permet donc d’augmenter la partie payante dans le cadre d’un billet prime ! Ce billet prime n’a rien d’un billet gratuit, les taxes et surcharges ne sont pas négligeables lorsqu’on y inclut cette fameuse YQ.
Notez toutefois que cette pratique d’assimiler la surcharge à une taxe n’est pas autorisé partout dans le monde et par exemple jugée illégale au Brésil. La surcharge carburant doit être intégrée au prix du billet. Ce qui ne change pas grand chose au prix final du billet mais diminue les taxes payables sur un billet prime.
Exemple d’un billet prime Air France entre la France et le Brésil. Notez tout d’abord que depuis 2 ans environ AF applique un tarif variable sur les taxes à payer pour un billet prime, en y intégrant la totalité de la YQ pour un billet Business, et simplement une petite partie pour un billet Eco, pour favoriser l’utilisation des miles pour ces derniers.
Donc pour un aller simple émis en France vers le Brésil, vous payerez tout ou partie de la YQ pour un billet prime, les taxes varient de 104,34 € en Eco à 244,90 € en Business.
Exemple de billet prime Air France émis en France vers Rio, partie payante élevée et croissante selon la classe de voyage.
A l’inverse, pour un aller simple émis au Brésil vers la France, le montant des taxes ne pourra comporter la YQ, et ces taxes ne se montent qu’à 32,95 € quelle que soit la classe de voyage. Soit de 3 à 7,5 fois moins !
Exemple de billet prime Air France émis au Brésil vers Paris, les taxes ne représentent que 32,95 € quelle que soit la classe de voyage
Conserver cette surcharge YQ est donc pour les compagnies un moyen de faire payer plus cher pour un billet prime !
Peut on éviter de payer tout ou partie de cette surcharge YQ ?
La réponse est : oui, parfois…
Pour ce dernier chapitre, nous rentrons dans des considérations un peu techniques : qu’est ce que le “Fuel Dumping” ?
Il s’agit d’une technique de montage de routing pour un voyage qui fait sauter tout ou partie de cette surcharge YQ. Le prix final du billet s’en trouve allégé. Il n’y a pas de règle claire pour trouver un billet avec fuel dumping puisqu’il s’agit d’exploiter une faille du système informatique de tarification de la compagnie. Il faut chercher longtemps, un peu au hasard…
En règle général, cela arrive le plus souvent avec un billet “Open Jaw”, c’est à dire un billet avec points de départ et d’arrivée différents. En voici un exemple non pas au départ de Tahiti, mais au départ d’Europe à destination de Tahiti :
Prenons tout d’abord un billet classique Paris Tahiti en aller retour à une date donnée, la surcharge YR/YQ est à 608 €.
Prenons aux mêmes dates un billet un peu improbable nous menant à Tahiti, au départ de Genève et au retour vers Dublin.
Surprise, alors que le temps de vol est plus long, la surcharge YR/YQ tombe à 198,06 €, 3 fois moins que le billet au départ de Paris ! (Remarquez que ce billet en plus d’être moins cher grâce au Fuel Dumping, permet aussi de faire le retour en Premium Eco au lieu de l’Eco).
Comme je l’ai dit, il n’y a pas de règle, et ce type de billet open jaw ne permet pas de Fuel Dumping avec d’autres villes.
Et au départ de Tahiti me direz vous, peut-on trouver des billets moins cher avec Fuel Dumping ? Malheureusement non (ou si vous en trouvez dites le moi !). Dans la tarification du billet, le “point of sale” est très important, et dès qu’il s’agit de PPT, tout est verrouillé à double tour !
Anthony Fontan.
Merci pour cette contribution de notre FRiste tahitien préféré 🙂
Blague à part, plusieurs tribunaux (français) ont eu à juger que l’inclusion de la surcharge carburant dans les taxes était une pratique déloyale de nature à induire en erreur le consommateur. D’autres tribunaux ont retenu exactement la solution inverse.
Ceci est l’un des justifications au changement de nom par AF… à titre préventif (un complément de prix lié à la prestation principale ne peut pas être induit dans les « accessoires du prix » lorsqu’il ne correspond pas à une prestation identifiable distincte au regard du droit de la consommation).
Maintenant ce n’est jamais allé au delà de tribunaux de première instance car l’objet du litige est généralement le remboursement de cette surtaxe en cas de « no show » et la pratique de la plupart des compagnies (dont AF) est de faire en sorte qu’il n’y ait jamais de précédent (l’exemple brésilien a couté cher à certaines compagnies au titre des billets primes) et le prix d’un procès en appel rebute la plupart des justiciables.
Or pour qu’il n’y ait pas de précédent il suffit à la compagnie intimée en cause d’appel de proposer un « avoir non remboursable » (en équivalent monnaie ou en miles) équivalent au montant de ladite surtaxe… et d’un coup l’instance perd son objet.
Blague à part, la pratique du « fuel dumping » apparait comme limite au regard du droit communautaire: si un tarif peut varier (c’est peu ou prou libre pour le prix des transports), les accessoires faussement présentés comme obligatoire doivent ne pas nuire à la libre circulation des biens, des personnes et des services… c’est donc peut être une piste à creuser.
Après je suis très très loin d’être un spécialiste du droit de la consommation !!!