Il y a des fidélités qu’on ne mesure pas en miles. Ni en vols. Ni même en années. Ce sont celles qu’on ressent au moment précis où l’on embarque dans un avion, et où l’on se sent reconnu. Attendu(e). Considéré(e). Il fut un temps, que les nouveaux statuts n’imaginent pas, où Air France savait mettre à l’honneur ses passagers les plus réguliers, même en classe Economy. Un temps où la fidélité avait un visage. J’ai été Club 2000. Je suis aujourd’hui Platinum For Life. Et pourtant, de plus en plus souvent, je me sens invisible à bord.
Air France : ces gestes qui disaient tout, sans en faire trop.
Un coussin de la Business posé discrètement sur le siège moyen-courrier. Une bouteille d’eau, comme un clin d’œil. Parfois même une carte manuscrite du chef de cabine, quelques mots griffonnés à la hâte : « Merci de votre fidélité, cher Monsieur X. » Rien d’extravagant. Rien de luxueux. Mais une forme d’élégance discrète, profondément française, profondément humaine.
Cela existait. Cela n’existe presque plus.
Aujourd’hui, on embarque dans un Airbus ou un Embraer comme dans un bus de province : même sourire poli, même neutralité fonctionnelle. Le statut ? Il figure quelque part dans l’iPad du personnel de bord. Il est consulté, parfois, à la faveur d’un verre de champagne demandé à la volée. Et encore. Ce n’est ni systématique, ni spontané. Ce n’est plus un geste. C’est une vérification.

Un effacement lent, mais profond.
Je ne réclame rien. Je constate. Ce que je vivais comme un rituel de reconnaissance s’est transformé en une loterie administrative. Parfois, un chef de cabine passe en croisière, me salue par mon nom, et je le remercie intérieurement d’avoir pris ce temps-là. Mais ce moment devient l’exception, non la norme.
Une hôtesse m’a récemment confié qu’aucune directive précise n’était donnée par Air France sur l’accueil à réserver aux Platinum For Life. Une personnalisation « souhaitable », oui. Mais sans protocole. Sans outil. Sans consigne. Et avec parfois, m’a-t-elle dit, tellement de clients Platinum à bord qu’elle ne « prend plus le temps ». Seuls les Ultimate, ces statuts célestes à l’accès limité, reçoivent encore les égards d’autrefois.
Le jour où j’ai vraiment compris que je n’étais plus « vu » à bord d’Air France.
Vol court-courrier, entre Toulouse et Paris, payé à prix d’or, rang 1. Je suis le passager en 1F. Un client Ultimate est en 1D. Le siège central est neutralisé, fictivement. Il reçoit les chocolats. La bouteille d’eau. Les mots. Moi, rien. Même pas mon nom. L’hôtesse, professionnelle, efficace, irréprochable mais absente à l’attention.
En quittant l’appareil, je lui glisse : « Vous savez, nous aussi, les Platinum For Life, on aime encore ces petits gestes. » Elle me regarde, sincèrement désolée. Et moi, je ressens ce mélange de gêne et d’amertume qu’on ne ressent que quand on a aimé une maison qu’on ne reconnaît plus tout à fait.
Dans une compagnie comme Air France, l’hospitalité est plus qu’un service : c’est une promesse de culture. Et dans cette promesse, il y avait ce geste. Ce détail. Ce rien qui faisait tout. Une fidélité, si elle n’est plus incarnée, devient abstraite. Une abstraction, on peut la garder sur le papier, mais elle ne touche plus.
On peut continuer à voler. Bien sûr. À cumuler. À renouveler (plus nécessaire dans mon cas précis). Mais quelque chose s’érode. Et cette érosion n’a rien à voir avec la classe de voyage, le catering ou le pitch. Elle tient à l’intime, à la manière dont on se sent attendu.
Conclusion.
Comme tous les grands programmes de fidélité, Flying Blue a grandi. Il s’est élargi, densifié, segmenté. Aujourd’hui, on est Platinum comme on est Gold ailleurs. Et la rareté d’hier est devenue statistique. L’effet est connu : quand tout le monde est spécial, plus personne ne l’est vraiment. Mais faut-il pour autant renoncer à distinguer ceux qui sont là depuis dix ans, au minimum ? Faut-il renoncer à ces rituels sobres mais puissants qui rappellent qu’un passager n’est pas qu’un segment de rentabilité ou une ligne dans un CRM ? Un coussin sur un siège Éco, c’est peut-être insignifiant. Mais c’est un code. Et ces codes, quand on cesse de les écrire, c’est la langue de la relation qui s’appauvrit.
Et vous, pensez-vous que la fidélité peut encore s’exprimer dans des gestes simples ou est-elle condamnée à devenir une donnée parmi d’autres dans les algorithmes du ciel ?
Julien.
C’est tellement vrai… je suis également PFL et plus aucun petit mot sur le siège. A signaler néanmoins sur le vol Mexico Cdg, la CdC est passé se présenter au début du vol… mais rien n’est systématique à priori…