Airbus franchit un nouveau cap dans sa stratégie industrielle en signant un accord définitif avec Spirit AeroSystems pour la reprise d’une partie de ses actifs liés aux programmes commerciaux A220, A320 et A350. Derrière cet accord, qui pourrait sembler technique, se cache une manœuvre stratégique lourde de sens dans un contexte où la stabilité de la supply chain est devenue un enjeu vital pour les grands avionneurs mondiaux.
Spirit AeroSystems : d’un partenaire clé à un maillon fragile.
Spirit AeroSystems n’est pas un acteur anodin. Ancienne filiale de Boeing, devenue indépendante au début des années 2000, Spirit est aujourd’hui l’un des plus grands sous-traitants aérospatiaux mondiaux, fabriquant notamment des sections majeures de fuselages et des composants d’aile pour Airbus et Boeing.
Cependant, confronté depuis plusieurs années à des difficultés financières, aggravées par la crise du 737 MAX, la pandémie, et les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, Spirit est devenu un fournisseur à risque. Pour Airbus, voir un partenaire aussi central vaciller n’était plus tenable, surtout au moment où l’avionneur européen doit augmenter massivement ses cadences pour répondre à une demande post-Covid particulièrement soutenue.
Ce que récupère Airbus : des actifs stratégiques sur trois continents.
En vertu de l’accord signé, Airbus reprend la main sur plusieurs sites industriels essentiels :
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Kinston, en Caroline du Nord : sections de fuselage pour l’A350 ;
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Saint-Nazaire, en France : sections de fuselage pour l’A350 ;
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Casablanca, au Maroc : composants pour l’A321 et l’A220 ;
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Wichita, au Kansas : production de pylônes moteurs pour l’A220 ;
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Belfast, en Irlande du Nord : production des ailes et du tronçon central de l’A220 (sous réserve de cession partielle du site) ;
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Prestwick, en Écosse : production de composants d’aile pour les A320 et A350.
Cette réintégration industrielle permettra à Airbus de sécuriser directement des éléments critiques de la production sur trois programmes majeurs, A220, A320 et A350, tout en limitant son exposition à des défaillances externes.
Un deal financièrement avantageux pour Airbus.
Au-delà du simple transfert d’actifs, l’opération est également notable pour son équation financière. Airbus ne paie pas Spirit AeroSystems : au contraire, c’est Spirit qui indemnisera l’avionneur européen à hauteur de 439 millions de dollars, afin d’ajuster le périmètre et de refléter les risques associés aux actifs transférés.
Cette structuration, assez rare dans l’industrie, démontre le rapport de force favorable dont Airbus bénéficie aujourd’hui sur un marché sous tension, où sa robustesse financière contraste avec les fragilités de nombreux fournisseurs.
Il est également à noter qu’Airbus a prévu une ligne de crédit de 200 millions de dollars à destination de Spirit pour maintenir à flot certaines activités critiques jusqu’au closing de l’opération prévu au troisième trimestre 2025.
Pourquoi cette opération est-elle stratégique ?
En reprenant directement ces actifs, Airbus poursuit une double logique industrielle.
Tout d’abord, l’avionneur sécurise la montée en cadence. Alors que les carnets de commandes A320neo et A350 sont historiquement remplis, garantir la fiabilité de la supply chain devient essentiel pour éviter des retards de livraison préjudiciables commercialement. Ensuite, cette opération lui permet de Maîtriser des programmes sensibles. L’A220, en particulier, représente un enjeu stratégique à long terme pour Airbus, tant sur le segment des monocouloirs que pour contrer la concurrence potentielle de nouveaux entrants (notamment chinois). Enfin, Airbus peut optimiser la qualité et les coûts. En internalisant certaines productions, l’avionneur réduit le risque de coûts additionnels liés à des retards ou à des rebuts industriels.
En somme, Airbus ne se contente pas d’être un assembleur final ; il reconstruit progressivement une intégration verticale partielle sur des segments critiques.
Les défis qui restent à relever pour Airbus.
Racheter des sites est une chose. Les intégrer efficacement en est une autre.
Pour réussir, Airbus devra notamment assurer la montée en compétence de ces sites, harmoniser les standards industriels à ses exigences, gérer des problématiques sociales complexes, notamment au Maroc et en Irlande du Nord, ou encore assurer la rentabilité de ces sites à moyen terme, sans transformer pour autant des acquisitions stratégiques en centres de coûts. Le succès de cette opération dépendra donc autant de la stratégie industrielle que de la capacité opérationnelle d’Airbus à piloter cette intégration sans heurts.
Conclusion.
Avec l’acquisition partielle des actifs de Spirit AeroSystems, Airbus confirme son approche pragmatique : celle d’un constructeur qui anticipe, sécurise et renforce sa souveraineté industrielle dans un monde post-pandémique plus volatil que jamais. Reste à savoir si cette montée en intégration industrielle, tout en assurant la stabilité immédiate, n’introduira pas à terme de nouveaux défis internes.
Et vous, pensez-vous qu’Airbus peut durablement réussir à concilier flexibilité, montée en cadence et maîtrise industrielle accrue ?
Julien.