Depuis la guerre commerciale initiée sous l’administration Trump, le secteur aéronautique mondial navigue dans un climat d’incertitudes tarifaires. Pour Delta Air Lines, l’un des plus grands clients d’Airbus aux États-Unis, il ne s’agit pas seulement de réceptionner des avions : il faut aussi savoir composer avec des règles commerciales complexes et fluctuantes. Dans quelques heures, l’arrivée d’un nouvel Airbus A350-900 dans la flotte de Delta a mis en lumière une stratégie éprouvée, discrète mais redoutablement efficace, pour éviter les lourdes taxes douanières imposées aux appareils européens.
Une taxe sur les Airbus : l’héritage de la guerre commerciale.
En 2019, l’administration Trump a imposé une taxe de 10% à 15% sur les avions commerciaux européens neufs importés aux États-Unis, dans le cadre du conflit Boeing–Airbus sur les subventions publiques. Ces taxes visent tous les avions considérés comme « neufs », c’est-à-dire n’ayant pas effectué de vol commercial autre qu’un vol de production ou de livraison directe vers les États-Unis. Pour Delta, fortement engagée dans le renouvellement de sa flotte avec Airbus, cette mesure représentait un risque financier considérable.
La parade Delta : exploiter la définition douanière.
Pour contourner légalement cette taxe, Delta applique une méthode particulièrement ingénieuse. En effet, lorsqu’un avion est produit en Europe (à Toulouse ou Hambourg, par exemple), il effectue un premier vol vers un pays tiers, comme le Japon, avant de rejoindre le réseau Delta. Ce premier vol commercial extérieur requalifie l’appareil : il n’est plus considéré comme « neuf » au sens douanier américain, mais comme « utilisé ». Une subtilité qui permet ainsi d’éviter l’imposition de la taxe d’importation, tout en restant parfaitement conforme au droit.
En complément, Delta affecte ces avions principalement à des lignes internationales, consolidant leur statut « hors importation » sur le marché domestique américain (à noter que, dans certains cas, les appareils peuvent toutefois opérer des liaisons avec les États-Unis sous des régimes particuliers sans être officiellement considérés comme « importés », selon la documentation douanière appliquée).
Un porte-parole de la compagnie avait d’ailleurs précisé dès 2019 : « Nous avons choisi de ne pas importer directement de nouveaux appareils d’Europe tant que ces tarifs sont en vigueur. Nous privilégions l’affectation internationale. »
Une stratégie rodée depuis plusieurs années.
Contrairement à ce que certains pourraient penser, cette méthode n’est pas nouvelle. D’ailleurs, Delta n’est pas seule à exploiter ces subtilités douanières, mais la compagnie américaine est souvent citée comme un exemple emblématique de cette approche industrielle « agile ». Elle utilise cette approche notamment depuis l’instauration des premiers tarifs douaniers en 2019. Comme le rappelle JonNYC, la compagnie applique régulièrement ce montage pour ses A350 ou A330neo livrés d’Europe, mais aussi pour ses A220 produits à Mirabel, au Canada.
Ainsi, plutôt qu’une réaction ponctuelle à une actualité récente, c’est une tactique industrielle mûrement réfléchie, intégrée dans la stratégie d’approvisionnement du transporteur.
Une flexibilité qui souligne les limites du protectionnisme aérien.
Au-delà du cas Delta, cet épisode révèle les limites intrinsèques des politiques protectionnistes dans l’aérien.
À l’heure où les chaînes de valeur sont profondément mondialisées, imposer des barrières tarifaires efficaces devient un exercice complexe, et parfois vain. Une compagnie agile peut, par des montages logistiques relativement simples, contourner les objectifs politiques de protection du marché intérieur. Delta ne défie pas les règles : elle illustre simplement à quel point, dans l’aérien, la maîtrise des subtilités juridiques est devenue un levier concurrentiel aussi important que la gestion de la flotte ou du réseau.
Conclusion.
Avec sa stratégie discrète mais efficace, Delta démontre que, face aux incertitudes commerciales, l’intelligence industrielle prime souvent sur l’affrontement politique. Plus qu’un cas isolé, c’est une leçon de résilience : dans un monde globalisé, savoir manœuvrer dans les interstices des règles devient un art majeur de la survie économique.
Et vous, pensez-vous que ces stratégies d’évitement dénaturent l’esprit du commerce équitable ? Ou qu’elles traduisent simplement l’agilité nécessaire dans un secteur mondialisé par nature ?
Julien.