Ce qui avait été rapporté comme une simple diversion sanitaire d’un vol Lufthansa entre Francfort et Séville, cache en réalité une situation bien plus préoccupante. Le rapport récemment publié par les autorités espagnoles d’enquête aéronautique (CIAIAC) révèle que le copilote de l’Airbus A321 en question s’est retrouvé inconscient dans le cockpit, alors qu’il était seul aux commandes. Un enchaînement d’événements rarissimes mais potentiellement lourds de conséquences, relançant le débat sur l’absence de règle systématique imposant la présence de deux personnes dans le poste de pilotage.
Un incident discret jusqu’au rapport d’enquête.
Le 17 février 2024, le vol LH1140 de Lufthansa, assuré en Airbus A321, quitte Francfort à destination de Séville avec 205 personnes à bord. En croisière, l’équipage décide de se dérouter vers Madrid, invoquant un problème médical. L’avion atterrit sans encombre, reste au sol près de six heures, puis rejoint Séville en fin de journée.
À l’époque, aucun détail n’avait filtré. Mais le rapport espagnol publié en mai 2025 dresse un constat bien plus grave : le copilote s’est brutalement trouvé dans l’incapacité de piloter l’avion, tandis que le commandant de bord avait quitté le cockpit pour une pause.
Seul, inconscient, et actif sur les commandes.
Selon le rapport du CIAIAC, l’incapacité du copilote a été soudaine et sévère, sans signe avant-coureur détectable par le commandant de bord, qui venait pourtant d’échanger avec lui. Durant cette période critique :
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le copilote, inconscient, a involontairement actionné certains boutons et commandes de vol ;
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le pilotage automatique est resté actif, et le vol s’est poursuivi sans déviation notable pendant environ dix minutes ;
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le commandant, ne parvenant pas à obtenir de réponse, a utilisé le code d’accès d’urgence à la porte du cockpit, procédure prévue en cas d’obstruction.
Fait troublant : avant même l’ouverture automatique différée de la porte, le copilote, toujours en état altéré, l’a déverrouillée manuellement, permettant ainsi au commandant de revenir aux commandes.
Une question de procédures plus qu’une simple défaillance.
L’incident n’est pas sans rappeler de tragiques précédents. Le plus emblématique, le vol Germanwings 9525, reste gravé dans les mémoires : en 2015, un copilote en dépression volontairement resté seul en cockpit avait précipité son A320 contre les Alpes. Cet accident avait conduit de nombreuses compagnies européennes à imposer temporairement la présence de deux personnes dans le poste de pilotage en permanence, une mesure abandonnée depuis dans certains pays.
Contrairement au cas Germanwings, l’événement Lufthansa n’implique aucune intention malveillante. Il s’agit d’un incident médical imprévisible, dont l’origine est décrite comme la manifestation d’un symptôme non diagnostiqué. Néanmoins, l’incapacité soudaine d’un pilote, laissé seul en vol de croisière, suffit à poser la question de la robustesse des procédures en vigueur.
Le retour du débat sur la règle des deux personnes dans le cockpit.
Aux États-Unis, la présence de deux personnes dans le cockpit est obligatoire à tout moment depuis plusieurs années, qu’il s’agisse de deux pilotes ou d’un pilote accompagné d’un membre d’équipage autorisé.
En Europe, cette règle avait été temporairement imposée en 2015 dans la foulée du crash Germanwings, par mesure de précaution. Mais dès 2017, l’EASA (Agence européenne de la sécurité aérienne) a estimé qu’elle pouvait introduire de nouveaux risques opérationnels, notamment une complexité accrue dans les mouvements cabine, une vigilance diluée, ou un faux sentiment de sécurité en cas d’intention malveillante. Elle a donc recommandé de laisser aux compagnies aériennes la décision de l’appliquer ou non, sur la base d’une évaluation interne du risque. La plupart des compagnies européennes, dont Lufthansa, ont depuis abandonné cette exigence systématique, notamment sur les vols court- et moyen-courriers.
L’incident survenu sur le vol LH1140 rappelle pourtant que les situations critiques ne résultent pas uniquement d’intentions malveillantes. Un malaise, un AVC ou une perte de conscience subite peut rendre un pilote totalement inopérant ; et, dans ce cas précis, potentiellement perturbateur s’il agit involontairement sur les commandes.
Un système qui a tenu, malgré l’absence humaine.
Ce qui frappe dans ce rapport, c’est aussi ce qui n’est pas arrivé : malgré l’absence temporaire de tout pilote pleinement opérationnel, l’appareil a poursuivi son vol de manière stable, grâce au pilotage automatique et aux systèmes intégrés. Aucun cap déviant, aucune descente non sollicitée, aucun déclenchement d’alarme majeur n’a été relevé.
C’est un témoignage de la robustesse technologique de l’A321 et, plus largement, de l’aviation commerciale moderne. Mais aussi un rappel troublant : la technologie est fiable, mais la présence humaine, en supervision active, reste vitale.
Conclusion.
L’incident survenu à bord du vol Lufthansa LH1140 aurait pu passer inaperçu sans la publication récente du rapport espagnol. Il met en lumière une vulnérabilité peu documentée : l’inconscience involontaire d’un pilote laissé seul en vol, dans un contexte où les automatismes ne suffisent pas toujours à garantir une réponse rapide. La question n’est pas de dramatiser, ni de généraliser. Mais elle mérite d’être posée : dans une industrie qui évolue vers l’automatisation croissante, peut-on réellement justifier de laisser un pilote seul en cockpit pendant une phase de croisière, fût-elle stable ? Le retour à une présence minimale de deux personnes dans le poste de pilotage serait-il un excès de prudence ou une norme de bon sens ?
Et vous, pensez-vous qu’une règle de présence à deux en cockpit devrait redevenir obligatoire en Europe ?
Julien.