Anthony, fondateur et auteur de la page Facebook Aviation Geeks Tahiti, nous fait le plaisir de nous faire partager son expérience et ses connaissances en matière d’aérien. Il nous livre de manière ponctuelle ses impressions et ses analyses axées sur le marché polynésien. En intégrant l’équipe, Anthony est le quatrième contributeur nous permettant ainsi de vous proposer une actualité aérienne et hôtelière complète et francophone.
Tahiti est-elle réellement une destination chère ?
La polémique née des propos de Michel Monvoisin, président du GIE Tahiti Tourisme mais aussi PDG d’Air Tahiti Nui, ce samedi 3 septembre 2016 sur Polynésie 1ère (« la baisse du prix des billets d’avions pour venir à Tahiti n’augmenterait pas le nombre de touristes ») amène plusieurs réflexions, dont une question à laquelle nous allons tenter de répondre ici : la destination Tahiti est elle réellement une destination particulièrement onéreuse concernant le coût de transport ?
La réponse semble toute trouvée pour l’immense majorité d’entre nous : OUI. Mais encore faut il le prouver et vérifier que cela se retrouve dans les chiffres. Rien de plus simple, il suffit de comparer …
Cet article va reprendre un argumentaire très simple, qui avait déjà été celui du syndicat des hôteliers il y a quelques années, alors que le tourisme en Polynésie se portait encore plus mal que maintenant, que les hôtels fermaient les uns après les autres et que le remplissage des établissements existants était bien loin de la saturation : la destination Tahiti est trop chère par rapport à la concurrence.
Prenons deux exemples : un touriste au départ de Paris, un autre au départ de Los Angeles. La méthodologie sera à peu près la même dans les 2 cas : comparer les tarifs disponibles en Economy à partir d’un point de départ fixe vers plusieurs destinations, en choisissant une date suffisamment loin dans le futur, en moyenne saison, pour permettre de trouver les meilleurs tarifs disponibles (sans qu’un taux de remplissage déjà important ne vienne fausser les estimations). Toutes ces recherches de tarifs ont été faites avec le site Google Flights qui permet de trouver la très grande majorité des tarifs disponibles toutes compagnies confondues.
Au départ de Paris.
Prenons le cas d’un touriste au départ de Paris, qui souhaite partir 2 semaines en vacances début juin 2017, par exemple du samedi 3 juin au dimanche 18 juin 2017. Ces dates ne sont pas choisies complètement au hasard, elles correspondent à des dates où à la fois Air Tahiti Nui et Air France opèrent la liaison CDG – LAX – PPT.
Voici donc le tarif pour un voyage à Tahiti, un peu moins de 1900 EUR avec les 2 compagnies, ce qui est déjà un bon tarif pour cette période et cette destination.
Voyons maintenant ce que cela donne du coté du voisin calédonien.
Aux mêmes dates, le couple Air France / Aircalin sort des tarifs un peu inférieurs à un peu moins de 1800 EUR. Mais surtout la concurrence avec des vols via l’Australie permet de trouver des tarifs inférieurs à 1 400 EUR avec Etihad. Le caillou qui souffre pourtant des mêmes maux que la Polynésie en terme de coût de la vie, et n’est pourtant pas réputé pour le dynamisme de son tourisme, fait donc mieux que Tahiti.
Comparons nous maintenant au voisin hawaïen. Un billet Paris – Honolulu avec escale aux USA va coûter moins de 1200 EUR avec Air France / Delta. Les possibilités sont nombreuses à ce tarif avec toutes les alliances SkyTeam, Star alliance ou oneworld. Environ 700 EUR moins cher pour un voyage quasiment aussi long que pour Tahiti. Et en acceptant un temps de voyage rallongé, il est possible de trouver un billet à moins de 1000 EUR.
Comparons nous maintenant avec une destination du Pacifique souvent cité en exemple pour la réussite de son tourisme : Fiji. On ne peut pourtant pas dire que ce soit une destination très courue depuis la France, mais malgré tout les tarifs sont inférieurs, entre 1400 et 1600 EUR selon la route et le temps de vol concernés.
Et si l’on prend en considération les grands pays du Pacifique, avec une desserte aérienne très importante et fortement concurrentielle, forcément, les prix font le grand écart avec Tahiti.
Pour Auckland en Nouvelle Zélande il est possible de trouver des tarifs à moins de 900 EUR (moins de la moitié du prix d’un billet pour Tahiti, avec une distance et un temps de vol équivalent voire supérieurs). Des compagnies très renommées proposent des billets autour de 1 000 EUR.
Pour l’Australie, en prenant l’exemple de Sydney, c’est encore pire (ou mieux, selon comment nous le voyons) avec des tarifs à partir de 730 EUR et énormément de choix autour de 800 EUR.
Mais au départ de France (ou d’Europe), la concurrence est aussi ailleurs. Il existent des destinations bien moins éloignées et pourtant bien attirantes pour le touriste en recherche d’exotisme, de sable blanc, de lagon et d’eau turquoise. L’océan indien propose de nombreuses destinations paradisiaques. Voyons les tarifs pour simplement deux d’entre elles.
Les Seychelles sont accessibles à partir d’un peu plus de 500 EUR avec escale, un peu plus de 900 EUR en vol direct.
Les Maldives sont facilement accessibles entre 700 et 800 EUR avec un choix impressionnant de compagnies.
Mais contre ces destinations, au départ d’Europe, si on peut essayer de lutter en terme de tarif, on ne raccourcira pas les distances pour venir à Tahiti, et il sera quoi qu’il arrive difficile de faire venir à Tahiti un touriste qui trouve le voyage trop long …
Au départ de Los Angeles.
Prenons maintenant le cas d’un touriste qui souhaite partir environ une semaine en vacances au départ de Los Angeles. Le choix de LAX n’est pas innocent, bien entendu c’est le point de départ vers Tahiti en vol direct, mais c’est aussi un des aéroports au monde desservant le plus de destinations, et la quasi totalité des destinations du Pacifique en vol direct. Le choix d’une durée de séjour d’une semaine correspond à bon nombre de touristes venant des USA en Polynésie. Prenons des dates en juin 2017, du samedi 3 juin au dimanche 11 juin 2017, correspondant là aussi à des dates où à la fois Air Tahiti Nui et Air France opèrent la liaison LAX – PPT.
Le tarif d’un aller retour en Eco est élevé, entre 1300 et 1500 EUR selon les compagnies.
Concédons que Air France propose un tarif plus avantageux à 1150 EUR pour une durée de séjour ne dépassant pas 7 jours.
Premier élément de comparaison : Hawaii. Temps de vol un peu plus court, très grande fréquence des liaisons, et tarif divisé par deux pour LAX – Honolulu ! Autour de 700 EUR.
On peut même trouver des vols directs de LAX vers l’île très touristique de Maui pour un tarif encore inférieur autour de 600 EUR.
Reprenons l’exemple du bon élève insulaire du Pacifique qui a su développer son tourisme à grande échelle : Fiji. C’est bien plus loin que Tahiti, et pourtant la compagnie locale Fiji Airways propose un tarif à moins de 900 EUR.
Un autre exemple dans le Pacifique, qui comme Tahiti tente de développer son tourisme : les Îles Cook. Un billet LAX – Rarontonga (opéré par Air New Zealand) aux mêmes dates coûte environ le même prix, un peu plus de 1200 EUR.
Remarquons toutefois qu’à ces dates le vol retour n’est pas direct et oblige de faire une escale à Auckland, ce qui augmente le tarif. Si l’on choisit une date retour avec vol direct (toujours par Air New Zealand), il est possible de trouver un tarif très compétitif à 763 EUR.
Pour une destination plus lointaine, accessible en vol avec escale, mais relativement populaire pour les américains, comme Guam, on trouvera encore des tarifs moins chers que pour Tahiti, un peu moins de 1 000 EUR ou un peu plus de 1 100 EUR avec d’autres compagnies.
Et enfin si l’on prend en considération les longs vols transpacifiques vers la Nouvelle Zélande ou l’Australie, il est encore possible de trouver des billets moins chers que pour Tahiti.
Un billet LAX – Auckland sera accessible autour de 1 200 EUR en vol direct, mais de nombreux vols avec escale dans le Pacifique s’affichent autour de 1 000 EUR.
Si vous avez regardé tout en bas de la liste précédente, vous avez vu Air Tahiti Nui apparaître en bonne position.
ATN est une compagnie de destination, qui emmène ses passagers au niveau de son hub, Tahiti. Mais ATN est aussi positionnée sur une ligne très fréquentée, LAX – Auckland, et comme beaucoup de compagnie du Pacifique, vend des vols avec escale entre ces 2 destinations avec un tarif agressif pour attirer une clientèle qui, à tarif équivalent, préférerait un vol sans escale. Fort de cette logique, un vol LAX – PPT – AKL est donc vendu moins cher que le seul LAX – PPT aux mêmes dates (1 089 versus 1499 EUR).
Pour l’Australie, en prenant l’exemple de Sydney, on retrouve des tarifs en vol direct un peu plus cher que le vol pour Tahiti (autour de 1500 EUR) mais moins cher (entre 1000 et 1250 EUR) pour des vols avec escale.
Conclusion.
Vous le voyez dans les chiffres, Tahiti est bien une des destinations les plus chères au monde, systématiquement plus chère que les destinations concurrentes. Et nous ne parlons là que de tarifs de billets d’avion, uniquement pour se rendre à l’aéroport de Papeete. Le problème de coût de la destination Tahiti est bien plus global, avec un coût de la vie élevé se répercutant sur l’ensemble des prestations touristiques.
Pour finir, Michel Monvoisin a t-il raison de dire qu’une baisse du prix du billet d’avion pour Tahiti ne ferait pas venir plus de touristes ?
Ne jetons pas la pierre trop vite. Il a certainement raison pour la cible principale que Tahiti Tourisme s’est fixée (à tord ou à raison, ce n’est pas la question) : la clientèle Premium, qui cherche des prestations de luxe, sans regarder à la dépense. Cette clientèle pour laquelle justement nous manquons désormais de chambres d’hôtel à Bora Bora.
Mais cette réflexion laisse de coté une grande part de touristes délaissés par la politique actuelle de tourisme, celle des touristes de moyenne gamme, qui cherche un beau voyage tout en regardant à la dépense, auxquels il faut rajouter toutes les familles et les amis de résidents de Polynésie, qui en plus de l’obstacle de la distance et du temps de vol, se heurtent au mur du tarif aérien, infranchissable pour bon nombre.
Alors oui, il est tout à fait licite d’affirmer que le nombre de touristes augmenterait avec une baisse du tarif aérien. Et cela permettrait de diversifier le panel touristique nous rendant visite, et ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier. Le tourisme Polynésien a besoin de tous les touristes, qu’ils dépensent peu ou beaucoup, du moment qu’ils participent à faire vivre le moteur de notre économie.
Anthony F.
Bonjour Anthony. Merci pour cette démonstration, mais elle est hors sujet par rapport à mes propos. Je dis, et je répète, qu’en l’état actuel du parc hôtelier, des billets moins chers ne feraient pas venir plus de touristes puisque nous n’avons pas la capacité réceptive à les recevoir. Nous sommes actuellement en stop sales sur octobre et novembre 2016 à partir du marché France. C’est une première! A 200 000 touristes, nous allons toucher le plafond de verre. Aller au-delà laisserait à penser que nous pouvons remplir les hôtels à 100% toute l’année ce que même Hawaii et Los Angeles ne font pas. Tahiti est vue comme une destination de luxe et nous avons notre clientèle. Clientèle qui représente encore un potentiel important que nous sommes très loin d’avoir épuisé et pour laquelle ils nous manque encore des produits. Hermès et Vuitton vendent des sacs à 3000 euros et s’en portent très bien. Vous citez Fidji en 1er de la classe. Fidji accueille 800 000 touristes par an avec 10 000 chambres. Nous en accueillons 189 000 avec 2700 chambres. Faites le ratio, vous verrez que nous n’avons pas rougir. 50% du tourisme fidjien est en provenance d’Australie (plus proche). Nous faisons a peu près 450 millions d’euros de recettes avec 189 000 touristes. Fidji doit en faire 500 avec 800 000 touristes. Moi, je ne fais que des constats. Il ne m’appartient de dire si nous voulons et devons devenir une destination pour un tourisme de masse, mais, dans ce cas, il y aurait une réforme (pour ne pas dire une révolution) à mener en profondeur; à commencer par le coût de la vie qui repose sur une économie d’importation et un coût du travail élevé (surtout comparé à Fidji). Comment accueillir des touristes disposant d’un budget hébergement plus nourriture à 100 euros/jour? Nous ne sommes pas une destination low cost. Et depuis la disparition du CEP, le tourisme affinitaire s’est effondré. Nous ne pouvons pas bâtir une stratégie sur cette ultra niche.
Cordialement
Bonjour Michel et merci pour ta réponse.
Nos positions ne sont pas si éloignées que cela. Je constate les tarifs pour venir à Tahiti, mais le problème est bien plus global que le seul transport aérien. Baisser le coût de la vie et le niveau de vie à Tahiti pour abaisser les tarifs touristiques serait même plus qu’une révolution. Je connais les arguments que tu développes et je sais qu’ils sont valables, on pourrait même en citer d’autres sur les coût opérationnels des liaisons aériennes vers Tahiti, qui seraient tout aussi recevables.
Simplement ta conclusion par une phrase choc a fait du bruit car elle est un brin provocatrice. Je la comprends dans le sens où même si on génère plus de demande on ne peut pas la satisfaire. Mais la demande augmentera bel et bien si le tarif baisse, c’est certain. Un touriste a un budget non extensible pour ses vacances et les choisit en fonction de cela. Si le budget nécessaire pour des vacances à Tahiti baisse, la cible des touristes potentiels sera élargie et la demande augmentera. A la Polynésie de s’armer pour faire face à une augmentation de demande.
Et je suis aussi d’accord avec toi que le marché du tourisme affinitaire est quantité négligeable en volume, mais reste ici un sujet sensible. En 2010 et 2011, ATN faisait des « promos fetii ». Peut être une idée à remettre au goût du jour ?
Cordialement
[…] Vous pouvez retrouver son article en cliquant ici. […]
Je comprends que PPT restera encore longtemps une destination haut de gamme, compte tenu du cout de la vie sur place, et du parc hotelier existant qualitatif.
Je ne comprends, par contre, pas du tout pourquoi AF, sur cette destination « Premium », continue de positionner ses anciennes cabines vétustes, malgré les prix élevés proposés. N’est-il pas aussi dommage de ne pas offrir la nouvelle First sur cette destination élitiste ? C’est la même chose avec MRU, qu’AF a littéralement « abandonnée » à EK. Pour les PAX haute contribution…