Le 23 avril 2025, Boeing publiait ses résultats financiers pour le premier trimestre. En apparence, les voyants sont au vert : chiffre d’affaires en nette progression, pertes réduites, livraisons en hausse. Mais à l’heure où l’industrie aéronautique mondiale accélère sa consolidation post-crise, ces chiffres masquent mal les faiblesses profondes d’un avionneur encore fragilisé par cinq années de turbulences techniques, financières et réputationnelles. Derrière cette amélioration comptable se cache une réalité plus complexe : Boeing progresse, mais sans encore convaincre.
Boeing : des résultats encourageants portés par des facteurs mécaniques.
Avec 19,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires, Boeing affiche une croissance de 18% par rapport au T1 2024. La perte nette tombe à 31 millions de dollars, contre 355 millions l’an dernier. Les livraisons ont progressé à 130 avions commerciaux, contre 83 au T1 2024. Sur le papier, la dynamique est bonne.
Mais cette amélioration s’explique en grande partie par l’effet de rattrapage :
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Les compagnies aériennes reprennent leurs livraisons après une série de retards industriels,
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Le carnet de commandes reste solide (plus de 5 600 appareils en backlog),
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La base de comparaison 2024 était extrêmement basse.
Le flux de trésorerie reste cependant négatif à -1,6 milliard de dollars, et la division Aviation Commerciale affiche toujours une perte d’exploitation de 537 millions, pour une marge opérationnelle à -6,6 %.
En clair : Boeing vend plus d’avions, mais continue à perdre de l’argent en le faisant.

Le 737 MAX : entre inertie industrielle et vigilance réglementaire.
Le 737 MAX reste l’épine dorsale du modèle Boeing mais aussi sa cicatrice la plus douloureuse. Depuis le début de l’année, la montée en cadence vers les 38 appareils par mois reste l’objectif. Mais entre les contraintes de sous-traitance (notamment chez Spirit AeroSystems), les incidents qualité à répétition, et la surveillance renforcée de la FAA, cet objectif semble plus politique qu’industriel.
L’affaire du MAX 9 d’Alaska Airlines en janvier 2024 a ravivé toutes les craintes : le doute n’est pas levé sur la robustesse du système qualité de Boeing. En interne, plusieurs lignes de production fonctionnent sous observation des régulateurs. À cela s’ajoutent les ruptures dans la chaîne logistique et un climat social tendu dans plusieurs usines.
L’outil industriel n’est pas encore stabilisé. Et tant que le 737 MAX continuera à incarner le produit-phare de Boeing, sans alternative immédiate ni modernisation structurelle, la vulnérabilité stratégique perdurera.

La Chine reste fermée, et c’est un problème majeur pour Boeing.
Entre 2019 et début 2024, Boeing n’a livré quasiment aucun 737 MAX à la Chine, et les livraisons commerciales ne reprennent que très marginalement début 2024, sans retour à la normale à ce jour. L’impact est considérable : la Chine représentait près de 25% des livraisons prévues de 737 MAX avant la crise.
Le différend n’est désormais plus technique, mais géopolitique. La Chine maintient la pression sur l’avionneur américain, dans le cadre de tensions plus larges avec Washington. Résultat : les appareils destinés à la Chine sont réalloués vers d’autres clients (Inde, Turquie, Asie du Sud-Est), mais à des prix cassés, ce qui affecte les marges, et parfois les calendriers de production.
Boeing se prive ainsi d’un débouché stratégique, alors qu’Airbus, en parallèle, renforce ses parts de marché en Chine, signe des contrats géants, et installe des lignes d’assemblage locales.

Une cession d’actifs qui soulève des questions.
Le rachat de la division Digital Aviation Solutions par Thoma Bravo pour 10,55 milliards de dollars a été, en toute logique, bien accueilli par les marchés. Cette vente permet à Boeing de réduire sa dette et de reconstituer sa trésorerie.
Mais cette opération soulève une question stratégique de fond : pourquoi se séparer d’un actif à haute valeur technologique, dans un secteur (celui de l’analyse de données, la maintenance prédictive, l’optimisation opérationnelle) qui est l’un des piliers de la transformation du transport aérien à moyen terme ?
Boeing semble privilégier le court terme bilanciel au détriment d’une vision de long terme, laissant à Airbus et à des acteurs comme Palantir ou GE Aerospace le champ libre sur ces segments à forte valeur ajoutée.
Conclusion.
Les résultats du premier trimestre de 2025 montrent une trajectoire d’amélioration, mais aucun retournement de fond. Boeing reste prisonnier d’un modèle industriel instable, d’un climat réglementaire contraignant, et d’une défiance persistante, à la fois des compagnies clientes, des régulateurs, et parfois de ses propres salariés. L’enjeu pour les mois à venir ne sera pas de livrer davantage, mais de restaurer la confiance. Et cela passera moins par des chiffres trimestriels que par des preuves concrètes : des lignes d’assemblage robustes, des produits fiables, des choix stratégiques de long terme. Boeing avance. Mais l’écart avec Airbus, lui, continue de se creuser.
Pour vous, le retour à la rentabilité opérationnelle est-il crédible d’ici fin 2025 ? Boeing peut-elle rester compétitive sans accès au marché chinois ? Faut-il s’attendre à une relance produit… ou à une simple stratégie défensive ?
Julien.