La polémique est née à Doha, via Twitter, et s’est très rapidement répandue sur la toile. En cause : la publication, sur le réseau social, de la lettre de licenciement d’une (« élève ») pilote de Qatar Airways, remerciée par sa direction. L’intéressée, qui a elle-même partagé le courrier de sa hiérarchie, a interpellé les responsables nationaux afin de signifier son désaccord avec la mesure. Il n’en fallait pas plus pour que la bien-pensance internationale y voit là un sujet de controverse. Sans toutefois, il fallait s’en douter, s’intéresser au fond du problème …
Licenciée à juste titre ?
Le 7 mai 2020, Qatar Airways mettait fin au contrat de Jawaher Al Hail.
@TameemAlthani @KBKAlthani @qatarairwaysar أنا مواطنة قطرية، موظفة في شركة الخطوط الجوية القطرية، حدث اليوم الخميس الموافق 7/5/2020 إجراء إنهاء خدماتي بدون ذكر أسباب تأديبية أو ماشابه، أرجو من سيادتكم التحقق في الموضوع pic.twitter.com/aOpDRg6kPn
— Jawaher Al-Hail (@AlhailJ) May 7, 2020
Jawaher Al Hail, ressortissante qatarie, interpellait publiquement son ancien employeur Qatar Airways ainsi que le Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, Émir du Qatar, et le Cheikh Khalifa Bin Hamad Bin Khalifa Al Thani, le Premier Ministre et Ministre de l’Intérieur du Qatar afin d’enquêter sur son licenciement. Selon la principale intéressée, cette mesure prise à son encontre ne serait pas justifiée.
De plus, pour cette dernière, une ressortissante qatarie ne devrait pas pouvoir être licenciée par une entreprise nationale. Al Hail a d’ailleurs été soutenue dans sa colère par de nombreux qataris sur le réseau social, rappelant que la compagnie aérienne « employait trop d’étrangers » et « ne devrait pas permettre un tel licenciement ».
La compagnie aérienne, dans le courrier qui lui a été adressé, a en effet mis fin au contrat de travail, indemnisé son ex-salariée à hauteur de 7 jours comme les dispositions contractuelles le prévoient, et, conformément l’agrément signé entre les parties, demandé le versement de la somme de 591 000 QAR environ (soit près de 150 000 EUR) au titre du remboursement de ses frais de scolarité pris en charge, depuis 2013, par Qatar Airways.
Sortie de son contexte, le courrier de licenciement adressé par Qatar Airways à Jawaher Al Hail pourrait, a minima, surprendre. Il n’en fallait pas plus pour que les détracteurs du Golfe s’insurgent contre les prétendues pratiques abusives de ces compagnies aériennes « sans foi ni loi ».
Sympa Qatar qui te vire du jour au lendemain en te laissant royalement 7 jours de salaire… et te demande dans la lettre de licenciement de rembourser 150 000 € correspondant à ta formation il y a 7 ans ! 😳👏🏼👏🏼✈️ pic.twitter.com/teVYhIxelv
— Stéphane Gaillard (@Stef74G) May 9, 2020
Pourtant, l’affaire est plus complexe.
Pour tenter de le comprendre, il est nécessaire de parcourir les échanges de messages, rédigés en arabe, où de nombreux protagonistes, qualifiés ou non pour le faire, se sont exprimés sur la question.
ليس دفاعاً عن القرار
فأنا شخصياً متضرر من قرارات هذا الرجل ولكن الحق يقالمضمون كتاب انهاء الخدمات يبين انها لم تستطيع ان تجتاز دراسة الطيران في كلية الطيران والحصول على الرخصة التجارية بعد مكوث ٧ سنوات في الدراسة والتي مدتها سنتين
يعني الاخت تأخرت كثير
— QCaptain✈️ (@QCaptainKAMA) May 8, 2020
La formation de Jawaher Al Hail devait durer 2 ans. Telles sont les conditions.
Entamée fin 2013, l’élève pilote n’aurait décroché sa Multi-Crew Pilot Licence qu’en avril 2017. Personne n’invente les dates : elles sont disponibles, pour la première, sur le courrier de licenciement, et pour la seconde, sur le diplôme de Al Hail publié par ses soins le 9 mai 2020 sur son compte Twitter.
Par ailleurs, si Jawaher a bien décroché sa licence (pour faire simple, l’équivalent de l’ATPL) péniblement au terme de 4 années (et elle était déjà hors délais), elle n’aurait tout simplement jamais réussi à obtenir sa QT. Pour mémoire, la Qualification de Type est une autorisation qui permet à un pilote de ligne d’exercer sa fonction sur un type d’avion particulier. Ainsi, après 7 années à étudier (6 si l’on soustrait l’année sabbatique de l’élève pilote prise pour raison familiale), Jawaher Al Hail n’était tout simplement pas en mesure d’exercer sa profession de pilote de ligne.
Conformément à l’agrément signé par l’élève pilote au début de sa formation, et indépendamment de son licenciement justifié, le remboursement des frais déboursés par Qatar Airways pour sa scolarité doivent lui être remboursés.
Licenciée, oui. Mais pour ne pas être en mesure de voler.
Conclusion.
Il est toujours aisé de faire croire que, dans le Golfe, les droits élémentaires des humains sont toujours bafoués, sacrifiés sur l’autel de l’intérêt national. Or, le licenciement, au terme de 7 années, d’une élève pilote qui n’est, en définitive, pas en mesure d’exercer le travail pour lequel elle a été recrutée, ne me semble pas mériter autant d’indignation.
Quant au remboursement des frais de scolarité, que l’on soit d’accord ou non avec cette pratique, il suffit de se reporter à l’accord signé entre les parties. Dès 2013, Jawaher Al Hail savait qu’elle devrait rembourser ses frais de scolarité si elle ne parvenait pas à remplir sa part du contrat.
La polémique autour de ce licenciement a très rapidement enflé. Mais initialement, Al Hail soulevait un tout autre point : peut-on être ressortissante qatarie et être licenciée d’une entreprise nationale ?
La réponse semble être positive. Mais à la condition de ne pas répondre aux besoins de son entreprise.
Qui pourrait ici jeter la pierre à Qatar Airways ? 😉
Tyler.