16Alors que les tensions entre la Chine et les États-Unis atteignent un nouveau point d’ébullition, Pékin vient de porter un coup sévère à Boeing en ordonnant à ses compagnies aériennes nationales de suspendre toutes les livraisons d’avions du constructeur américain. Cette décision, révélée cette semaine par plusieurs sources concordantes, survient dans un contexte de bras de fer commercial ravivé, et pourrait avoir des conséquences lourdes pour l’avionneur déjà fragilisé.
Un contexte géopolitique sous haute tension.
La mesure chinoise intervient quelques jours à peine après l’annonce par Washington d’une nouvelle vague de sanctions commerciales visant des produits stratégiques en provenance de Chine, notamment dans les secteurs des semi-conducteurs, des batteries et de l’automobile électrique. Pékin a répliqué par une série de contre-mesures douanières, parmi lesquelles des droits de douane pouvant atteindre 125% sur les importations d’aéronefs américains et de pièces détachées.
Dans cette logique de représailles croisées, Boeing se retrouve en première ligne, à la fois comme symbole industriel des États-Unis et comme victime collatérale d’une guerre économique qui s’éternise.
Un marché chinois stratégique pour Boeing.
La Chine représente près de 15% du marché mondial de l’aviation commerciale et devrait en capter jusqu’à 20% d’ici la prochaine décennie. En chiffres, cela se traduit par une projection de plus de 8 000 avions commerciaux à livrer dans le pays au cours des 20 prochaines années, selon les prévisions de Boeing lui-même.
Plus concrètement, des compagnies majeures comme China Southern, Air China ou China Eastern devaient recevoir des dizaines de 737 MAX et Dreamliner dans les prochaines années. Ces livraisons sont désormais gelées, sans calendrier précis de reprise, ce qui remet en question à court terme les objectifs commerciaux de Boeing sur la région.
Boeing dans la tourmente : une accumulation de difficultés.
Déjà ébranlé par les multiples crises du 737 MAX, les retards de certification du 777X, une image publique entachée et une situation financière précaire (avec 11,8 milliards de dollars de pertes en 2024), Boeing voit s’éloigner un marché-clé qui aurait pu soutenir sa reprise.
À Wall Street, l’action Boeing a accusé une nouvelle baisse à l’annonce de cette suspension. D’un point de vue industriel, cela remet également en cause les cadences de production dans les usines américaines, alors que l’avionneur commençait à peine à relever la tête après plusieurs années chaotiques.
Airbus et COMAC en embuscade.
Ce coup d’arrêt pour Boeing fait les affaires de ses concurrents. Airbus, qui dispose déjà d’une chaîne d’assemblage à Tianjin, pourrait voir ses parts de marché augmenter significativement. Le constructeur européen bénéficie en outre d’un solide carnet de commandes en Chine et d’une dynamique politique plus favorable dans ses relations avec Pékin.
Mais c’est surtout le constructeur chinois COMAC qui pourrait tirer profit de la situation. Son C919, moyen-courrier concurrent du 737 MAX et de l’A320neo, pourrait bénéficier d’une accélération de la demande intérieure, facilitée par les incitations gouvernementales et l’appui logistique des compagnies d’État. Symboliquement, cela renforcerait la souveraineté industrielle de la Chine dans un domaine jusque-là dominé par les géants occidentaux.
Une situation à hauts risques pour l’écosystème aéronautique.
Au-delà de Boeing, ce gel des livraisons affecte toute la chaîne de sous-traitance mondiale : fournisseurs de moteurs, d’équipements de cabine, d’avionique ou de systèmes de connectivité. L’Europe n’est d’ailleurs pas épargnée, puisque de nombreux industriels du continent sont impliqués dans la fabrication de composants destinés à Boeing.
La suspension des livraisons pourrait aussi pousser certaines compagnies chinoises à revoir leur plan de flotte, ce qui affecterait indirectement les loueurs d’avions et les banques spécialisées dans le financement aéronautique.

Conclusion.
En suspendant les livraisons de Boeing, Pékin ne se contente pas de répondre aux sanctions américaines : il envoie un message fort sur sa capacité à frapper les intérêts économiques stratégiques des États-Unis. Cette décision constitue aussi un point de bascule potentiel dans la compétition industrielle mondiale entre les blocs occidental et asiatique. Si Boeing ne parvient pas à restaurer un canal commercial fluide avec la Chine, c’est sa compétitivité à long terme sur le marché mondial qui pourrait en pâtir. L’enjeu dépasse largement le constructeur américain : il s’agit de savoir si l’aviation commerciale pourra encore s’inscrire, dans les années à venir, dans une logique de mondialisation ouverte ou si elle sera de plus en plus soumise aux lignes de fracture géopolitiques.
Et vous, aviez-vous prévu de telles conséquences pour Boeing et le reste du monde ?
Julien.