À l’occasion de la 80ème édition de l’AGM IATA, nous avons eu le privilège de participer à un échange franc et enrichissant avec Willie Walsh, Directeur général de l’Association Internationale du Transport Aérien, sur l’état de l’industrie aérienne européenne et ses défis à venir.
Défis de l’industrie aérienne européenne.
Pour Willie Walsh, l’industrie aérienne européenne fait face à des défis importants, notamment en termes de réglementation et de concurrence. En comparaison avec d’autres régions du monde, l’approche européenne est plus restrictive en matière de réglementation et de fragmentation du marché. Ailleurs, on constate des investissements importants dans les aéroports, un soutien gouvernemental pour l’expansion du secteur de l’aviation.
« Je pense que le système de transport aérien européen fait face à des défis plus importants que de nombreuses autres parties du monde. L’avis général, en Europe, est que les compagnies aériennes devraient moins voler. En effet, Si vous combinez ce qui se passe à Bruxelles et à Dublin, par exemple, vous assisterez à un élan vers la réduction, non seulement de la croissance, mais également de l’activité actuelle. » – Willie Walsh
Les données sur les revenus passagers kilomètres montrent une évolution significative du marché mondial de l’aviation. Alors que l’Amérique du Nord a vu sa part de marché décliner, l’Europe est restée relativement stable. En revanche, la croissance la plus significative a été observée dans la région Asie-Pacifique et au Moyen-Orient.
« Si vous regardez l’industrie aérienne et que vous prenez comme mesure les revenus passagers kilomètres, vous constatez une croissance significative en dehors de l’Europe, et moins en Europe. » – Willie Walsh
Consolidation du secteur.
Willie Walsh a souligné la nécessité d’une consolidation accrue dans le secteur européen de l’aviation. En Europe, l’industrie est beaucoup plus fragmentée que dans d’autres régions du monde, avec un nombre disproportionné d’acteurs sur le marché.
« Je dirais que nous avons besoin de plus de consolidation que ce que nous avons actuellement. L’Europe est bien plus fragmentée que le reste du monde. Aujourd’hui, nous avons 336 membres IATA dans le monde entier, mais la grande majorité (39%) d’entre eux sont en Europe. Il y a beaucoup plus de compagnies aériennes en Europe que dans d’autres parties du monde ; il y a donc de la place pour la consolidation. » – Willie Walsh
De plus, pour IATA, la consolidation est bonne pour le consommateur final ; avec, pour preuve, une approbation de toutes les consolidations déjà réalisées par les réglementations de la concurrence en vigueur.
« Si vous me permettez de parler de ma propre expérience chez IAG, intéressez-vous aux performances financières d’Iberia par rapport à ce qu’elles étaient. Cette dernière s’est nettement améliorée par rapport à ce qu’elle a été. Forte de cette performance financière, Iberia a pu investir dans de nouveaux avions, de nouveaux produits, ou encore de nouveaux services au sol. Je pense que leur offre destinée aux clients a été transformée. Donc, pour moi, il a été prouvé que la consolidation est bonne pour le consommateur. » – Willie Walsh
Impact du conflit en Ukraine et de l’espace aérien russe.
L’impact du conflit en Ukraine sur l’industrie du transport aérien, en particulier en ce qui concerne l’utilisation de l’espace aérien russe, est une préoccupation majeure pour IATA. Willie Walsh a exprimé, avec conviction, le souhait de voir l’espace aérien russe ouvert à tous, en rappelant qu’il n’y voyait aucun problème de sécurité ou de sûreté.
« Notre point de vue est que nous aimerions voir l’espace aérien russe ouvert à tout le monde. Il n’y a pas, selon nous, de problème de sécurité ou de sûreté en ce qui concerne le survol de l’espace aérien russe. C’est une question politique. Ma préoccupation est que des décisions politiques sont interprétées comme des décisions de sécurité, et donc que les politiciens utilisent la sécurité et la sûreté comme raison pour prendre des décisions économiques. » – Willie Walsh
Le conflit en Ukraine et les restrictions concernant l’espace aérien russe ont des conséquences importantes pour les transporteurs européens et internationaux, en termes de routes et surtout de coûts opérationnels notamment ; à l’instar de ce que subit Finnair, par exemple. Il est urgent, dans l’intérêt du secteur, de résoudre ces problèmes pour assurer une connectivité aérienne continue et sécurisée.
Défis liés aux infrastructures.
Les projets d’infrastructures aéroportuaires en Asie et au Moyen-Orient contrastent avec les défis rencontrés en Europe, où il y a peu de place pour de nouveaux grands aéroports (mais pas pour les améliorations nécessaires). Cette disparité pourrait entraîner une croissance de la connectivité en dehors de l’Europe, avec des conséquences potentiellement négatives pour les transporteurs européens.
« Cela signifie que la croissance se fera en dehors de l’Europe, et que les hubs européens stagneront. Prenez l’exemple de Dubaï : l’émirat investit dans l’infrastructure pour le bénéfice de son économie. Avez-vous vu ce qui s’est passé ? Avant la pandémie, l’aéroport concentrait 60% de passagers en transfert, tandis que 40% avaient Dubaï comme destination finale. Maintenant cette donnée s’est inversée : vous savez 60% de passagers qui se rendent à Dubaï et 40% en transfert. C’est un changement significatif ! » – Willie Walsh
Le ciel unique en Europe.
Willie Walsh a profité de cet échange pour revenir sur l’accord récent pourtant sur le ciel unique européen, le qualifiant d’échec historique. En effet, pour IATA, cet accord ne permettra pas ni d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 fixé, ni d’augmenter la capacité ou de réduire les coûts supportés par les compagnies aérienne.
« Ce que nous recherchions, c’était une réduction de 10 % des émissions de CO2. Qu’est-ce que le texte prévoit ? Zéro. Ce que nous cherchions, c’était une augmentation de la capacité par trois. Ce qui sera réalisé ? Zéro. Ce que nous cherchions, c’était aussi une réduction des coûts. Et en réalité ? Ce sera une augmentation des coûts. » – Willie Walsh
Willie Walsh : quel avenir pour l’Europe ?
En dépit des défis actuels, Willie Walsh reste optimiste quant à l’avenir de l’industrie aérienne, notamment en Europe. Il estime que la consolidation, l’innovation et une meilleure gestion des infrastructures pourront aider les transporteurs européens à rester compétitifs sur le marché mondial.
« Je reste optimiste quant à l’avenir de l’industrie aérienne, mais nous devons relever ces défis et nous adapter à un environnement en constante évolution. » – Willie Walsh