Privatisée en 2022 et portée à bout de bras par le conglomérat Tata & Sons, Air India s’est lancée dans une ambitieuse stratégie de montée en gamme et d’expansion internationale. Mais la résurgence des tensions régionales vient de heurter de plein fouet ce redécollage : la fermeture de l’espace aérien pakistanais place aujourd’hui la compagnie indienne face à une équation financière redoutable, au point de réclamer un soutien public de 600 millions de dollars (soit plus de 530 millions d’euros).
Une fermeture aux conséquences opérationnelles immédiates pour Air India.
Depuis quelques jours, l’espace aérien du Pakistan est fermé aux avions enregistrés en Inde, en réaction à des tensions diplomatiques persistantes. Cette restriction affecte de plein fouet les routes ultra-long-courriers d’Air India vers l’Amérique du Nord, qui empruntaient jusqu’alors la route polaire dite du Great Circle via la Russie et le Pakistan.
Conséquence directe : les appareils doivent désormais emprunter des itinéraires plus méridionaux, allongeant significativement la distance, le temps de vol et, de facto, la consommation de carburant. Dans certains cas, les avions doivent effectuer des escales techniques à Vienne ou Copenhague, dégradant à la fois l’expérience client et la performance opérationnelle.

600 millions de dollars : un « juste » soutien selon Air India.
Dans une lettre adressée au ministère de l’Aviation civile, Air India chiffre l’impact potentiel de cette situation à 591 millions de dollars par an, si la fermeture devait perdurer. La compagnie évoque des « surcoûts vérifiables » liés au carburant, à l’équipage additionnel nécessaire, et à la réorganisation des vols.
Elle réclame donc une aide gouvernementale exceptionnelle pour absorber ce choc exogène. Mais une compagnie, désormais privée, engagée dans un plan de redressement financé par le groupe Tata, peut-elle solliciter un soutien public pour faire face à un aléa géopolitique ?
À noter toutefois que les aides gouvernementales sont fréquentes pour des crises exogènes (comme lors de la période pandémique du Covid), et que l’aviation reste un secteur stratégique dans bien des pays.
Une situation inédite, mais pas totalement isolée.
Cette demande s’inscrit dans un contexte singulier : alors que de nombreuses compagnies occidentales sont privées d’accès à l’espace aérien russe depuis l’invasion de l’Ukraine, peu ont sollicité une aide directe de leur gouvernement. Certaines ont suspendu des routes non rentables ; d’autres, comme Lufthansa ou Air France, ont adapté leurs dessertes, sans remettre en cause l’autonomie financière de leur modèle. Mais les contextes nationaux et la pression du marché intérieur pourraient cependant expliquer des approches différentes ; l’Inde pourrait ainsi considérer Air India comme un outil de souveraineté, même privatisé.
Air India, qui bénéficiait jusqu’à présent d’un avantage stratégique majeur en conservant l’accès à la Russie, voit cet atout s’effondrer. La fermeture de l’espace pakistanais, qui prive la compagnie de la première portion du Great Circle Route, vient neutraliser ce différentiel concurrentiel et expose au grand jour la fragilité de son modèle (même si celle fragilité ne remet pas en cause l’ambition, elle montre l’exposition forte d’un modèle ultra-long-courrier dépendant de corridors géopolitiques).
Air India : privatisée, mais encore dépendante ?
Le paradoxe est donc saisissant : une compagnie officiellement privatisée en appelle au soutien de l’État dès la première tempête géopolitique sérieuse. Bien que l’argument soit recevable (les surcoûts sont réels et exogènes), cette demande interroge la réalité de l’autonomie d’Air India. À l’heure où Tata & Sons injecte plusieurs milliards de dollars pour moderniser la flotte et repositionner la compagnie face aux géants du Golfe, la recherche d’un appui public pourrait être mal perçue par l’opinion.

Conclusion.
Air India affronte une crise de croissance prématurée, où ambitions mondiales et réalités régionales s’entrechoquent. Sa demande de soutien public de 600 millions de dollars souligne la vulnérabilité d’un modèle encore en construction, fortement tributaire des routes longue distance. Plus largement, elle ouvre un débat sur la place de l’État dans un secteur officiellement privatisé, mais encore soumis aux aléas diplomatiques. Une chose est sûre : les vents contraires de la géopolitique soufflent plus fort que jamais sur l’aviation civile.
Et vous, estimez-vous qu’un soutien public est légitime dans ce cas, ou que les risques géopolitiques doivent être absorbés par les opérateurs privés ?
Julien.