Alors qu’Emirates prévoit désormais une première livraison de Boeing 777X pour fin 2026, la compagnie peaufine sa montée en gamme à travers un vaste programme de retrofit. Derrière l’attente, une stratégie de résilience.
Une livraison tant attendue encore repoussée.
C’est une annonce qui pourrait presque passer inaperçue tant elle a été réitérée au fil des années. Pourtant, elle est cruciale : Emirates table désormais sur une première livraison du Boeing 777X pour la fin de l’année 2026. Initialement prévue pour 2020, cette arrivée marquerait enfin l’entrée en service du plus grand biréacteur jamais conçu, dont Emirates reste, avec 205 appareils commandés, le premier client mondial.
Les retards successifs du programme tiennent à plusieurs facteurs : complexité de la certification, exigences accrues de la FAA après les scandales du 737 MAX, aléas industriels chez Boeing, et refonte des systèmes embarqués. Emirates, pionnière sur le 777-300ER puis sur l’A380, voit donc son plan de montée en puissance contrarié depuis plus de six ans.
En attendant le 777X : la stratégie du retrofit à 5 milliards de dollars chez Emirates.
Privée de sa flotte de nouvelle génération, Emirates a choisi la voie de la modernisation. Un plan d’investissement de 5 milliards de dollars a été engagé pour refondre l’expérience passager sur 90% (environ) de la flotte actuelle, soit plus de 250 avions, dont les emblématiques Airbus A380 et Boeing 777-300ER.
La priorité ? Le déploiement généralisé de la Premium Economy, segment stratégique pour la compagnie aérienne. Emirates a déjà annoncé que les A380 rétrofités seraient déployés sur Bangkok, Hong Kong, Nice et Perth. Les 777 réaménagés, eux, opéreront sur Madrid, Kuala Lumpur, Phuket, Francfort et Dublin. Le message est clair : Emirates entend maintenir un bon niveau de service, même sans nouvel avion.
Des livraisons Airbus A350, mais sous condition.
En parallèle, la compagnie de Dubaï a commencé à recevoir ses premiers Airbus A350-900, commandés à 61 exemplaires. Douze doivent être livrés d’ici fin 2025. Emirates a toutefois renoncé à l’A350-1000, en raison notamment des préoccupations exprimées par la compagnie quant à la durabilité des moteurs Rolls-Royce XWB-97. Tim Clark, président d’Emirates, n’a en effet jamais caché sa défiance vis-à-vis du motoriste britannique, freinant toute extension de commande sur ce segment.
Ces livraisons partielles ne constituent donc qu’un palliatif. La stratégie long-courrier reste suspendue au 777X, dont Emirates attend à la fois la capacité, la portée et l’économie d’exploitation pour remplacer ses 777-300ER vieillissants.
Des négociations en cours pour agrandir la flotte.
Lors d’un point presse à l’Arabian Travel Market de Dubaï, Sheikh Ahmed bin Saeed Al Maktoum a confirmé que des discussions sont en cours pour de nouvelles commandes, potentiellement annoncées lors du Dubai Airshow 2025. Emirates envisage à la fois de renforcer ses positions sur le 777X, mais aussi de diversifier davantage sa flotte avec des commandes complémentaires d’A350 ou d’avions plus compacts.
Le besoin est structurel : avec une flotte actuelle de 270 avions (dont 141 Boeing 777, 118 Airbus A380, 4 A350 livrés), Emirates doit préparer le renouvellement massif de ses gros porteurs tout en adaptant sa voilure à l’évolution du marché post-COVID.
L’attente du 777X : un enjeu stratégique et industriel pour Emirates.
Le 777X, dans sa version 777-9 commandée par Emirates, est un avion aux promesses nombreuses : jusqu’à 426 passagers en configuration standard, une autonomie de 13 500 km, des moteurs GE9X dernière génération, et une cabine élargie. Mais il est aussi devenu, malgré lui, un symbole des errements récents de Boeing, dont la crédibilité industrielle est mise à l’épreuve.
Pour Emirates, l’attente n’est pas qu’un problème de calendrier : c’est un verrou stratégique. Sans 777X, pas de renouvellement efficient de la flotte, pas de gains significatifs en consommation, et un report de l’optimisation du réseau long-courrier vers des marchés à forte croissance comme l’Asie-Pacifique ou l’Amérique du Sud.
Emirates : une pression commerciale croissante face à la concurrence.
Emirates se retrouve ainsi dans une position délicate face à Qatar Airways, Turkish Airlines ou Singapore Airlines, qui peuvent tabler sur une flotte plus jeune et plus flexible à court terme. L’introduction tardive du 777X pourrait donc entraîner un effet ciseau : un produit de référence mais lancé après les autres.
Le recours au retrofit limite la casse, mais avec des questions en filigrane : combien de temps Emirates pourra-t-elle rester compétitive avec une flotte dont l’âge moyen dépasse déjà les 15 ans pour certaines séries ? En préservant la cohérence de son produit et en préparant méthodiquement l’intégration du 777X, Emirates tente une stratégie d’attente active, mais le temps presse.

Conclusion.
La première livraison supposée du 777X pour fin 2026 est un léger soulagement pour Emirates, mais aussi une épée de Damoclès : encore deux années à tenir avec une flotte vieillissante, un programme en suspens et un marché en mutation. En misant sur le retrofit massif, l’extension maîtrisée de sa flotte et une exigence de qualité constante, la compagnie joue la carte de la résilience stratégique. Mais la véritable mue d’Emirates, celle qui doit marquer la décennie à venir, dépendra de Boeing.
Et vous, pensez-vous qu’Emirates parviendra à rester au sommet en attendant l’arrivée (encore repoussée) de son très attendu 777X ?
Julien.