Nous avions rencontré Didier TAPPERO au dernier salon du Bourget en juin 2019 (la prochaine édition initialement prévue du 21 au 27 juin 2021 a été annulée repoussant ce rendez-vous tant attendu par les professionnels du secteur au mois de juin 2023, ndlr). Aircalin, malgré quelques retards dans les livraisons programmées, s’apprêtait à recevoir, à cette époque, son premier Airbus A330neo et à introduire de nouvelles cabines de voyage à bord de ce nouvel appareil. En juin 2019, le monde ne savait pas qu’il connaîtrait, quelques mois plus tard, l’une des plus importantes crises sanitaires de son histoire, nous obligeant à reconsidérer jusqu’à notre liberté de circuler et impactant grandement les opérations des compagnies aériennes du monde entier.
The Travelers Club – Pour replacer Aircalin dans le contexte qui était le sien, pouvez-vous nous parler de la situation de cette dernière à l’aube de la crise de la COVID-19 ? Comment vous portiez-vous ?
Didier TAPPERO – Aircalin, après des années qui ont pu être difficiles économiquement, se portait bien financièrement avant le début de la crise de la COVID-19 puisque nous avions réalisé cinq exercices bénéficiaires et que la trésorerie à fin 2019 représentait six mois de chiffre d’affaires pour notre compagnie. La situation était donc plutôt solide, ce qui a notamment permis d’amortir les premiers impacts de la crise sanitaire.
TTC – Et quelle est la situation économique d’Aircalin aujourd’hui ?
DT – Un an après, nous existons toujours parce qu’un certain nombre de mesures ont été prises pour permettre à la compagnie de survivre économiquement et nous permettre de tenir jusqu’à la fin de l’année 2021. En revanche, si on retient comme hypothèse la reprise du trafic en fin d’année et que, en 2022, ce dernier sera à hauteur de 40% de l’activité de 2019, Aircalin entrera, l’année prochaine, dans une situation critique en terme de trésorerie. Ainsi, à très court terme, notre compagnie aérienne sera toujours sur pieds mais à moyen terme, c’est-à-dire, à l’horizon 2022, il faudra trouver des solutions pour injecter de nouvelles liquidités dans l’entreprise.
« Un an après, nous existons toujours parce qu’un certain nombre de mesures ont été prises pour permettre à la compagnie de survivre économiquement. » – Didier Tappero, Directeur Général d’Aircalin.
TTC – Quelle est la situation sanitaire de la Nouvelle-Calédonie un an après le début de la crise ? Quelles sont les règles qui s’appliquent actuellement au transport aérien international vers le territoire ultra-marin ?
DT – La situation sanitaire de la Nouvelle-Calédonie est privilégiée si l’on regarde ce qui se passe actuellement dans le reste du monde. Pour mémoire, en mars 2020, lorsque la pandémie est arrivée, notre territoire a été confiné plusieurs semaines. Il s’agissait d’ailleurs d’un confinement strict, comme cela se faisait également en métropole mais qui a été levé beaucoup plus tôt car nous n’avions pas de cas. Cette situation a perduré toute l’année 2020 jusqu’à il y a quatre à six semaines où nous avons constaté l’introduction de quelques cas autochtones qui ont donné lieu à un nouveau confinement de trois semaines. Depuis la semaine dernière, notre territoire a retrouvé un statut COVID free. C’est le fait d’avoir eu, dès le départ, une politique très restrictive en matière de trafic aérien (pour mémoire, tous les vols internationaux ont été suspendus à l’exclusion de quelques vols de rapatriement et quelques vols de cargo que nous effectuons régulièrement) et d’isolement (avec une mise en quatorzaine très stricte des passagers qui arrivent sur le territoire et autorisation délivrée au terme à la condition d’obtenir un résultat négatif au test PCR) qui a permis à la Nouvelle-Calédonie d’obtenir de si bons résultats sanitaires.
« Depuis 1 semaine environ, la Nouvelle-Calédonie a retrouvé un statut COVID free. » – Didier Tappero, Directeur Général d’Aircalin.
TTC – Quelles sont vos perspectives d’avenir ?
DT – Bien entendu, des perspectives d’avenir existent ! Pour cela, on va considérer deux périodes : la période actuelle, qui est une période de crise avec pour véritable objectif quotidien de passer cette situation, et la reprise prochaine. La difficulté principale demeure incontestablement la durée de la crise. En effet, nous en sommes déjà à un an et nous savons que cette dernière va encore durer jusqu’à la fin de l’année au minimum. Au total, ce sont 20 mois environ d’une situation économique instable pendant laquelle Aircalin a continué à fonctionner avec 20% de son chiffre d’affaires seulement. Concernant la deuxième période, celle de la reprise, la difficulté, à l’instar des autres transporteurs, est que nous ne maitrisons ni précisément la date ni l’intensité de cette reprise. Pour autant, il faut s’y préparer ; ce que Aircalin fait, bien entendu. Nous continuons d’investir dans des outils commerciaux et notamment dans tout le système numérique de l’entreprise. Nous regardons attentivement, en terme de routes, notre réseau actuel mais nous réfléchissons également à l’ouverture de Singapour en substitution d’Osaka.
TTC – Pourquoi Singapour ?
DT – Parce qu’il s’agit d’une destination pour le marché calédonien qui offre une ouverture sur le sud-est asiatique, que c’est un hub extrêmement intéressant que nous souhaitons mettre à profit à la fois pour les calédoniens, pour le trafic Nouméa – Paris – Nouméa à travers Singapour, et aussi pour attirer une clientèle asiatique qui passerait par la cité-État afin de venir faire du tourisme en Nouvelle-Calédonie.
TTC – Quelles sont les pistes envisagées pour stabiliser Aircalin de manière pérenne ? Pouvez-vous nous dresser les contours de la situation sociale au sein d’Aircalin ?
DT – Consécutivement à une période où Aircalin se portait bien financièrement, nous avons du prendre trois types de mesures afin de nous maintenir à flot : des mesures internes, le soutien de la Nouvelle-Calédonie, et le soutien de l’État français.
Concernant les mesures internes, nous avons tout d’abord procédé au report des investissements. Nous devions notamment intégrer à la flotte un Airbus A320neo en février 2021 ; cet avion a été repoussé à fin 2023. Par ailleurs, comme toute entreprise, nous avons fait l’analyse de tous les postes de dépense et regardé à chaque fois qu’une économie était possible s’il était opportun de la faire. Nous avons eu, et c’est toujours très difficile, à nous séparer d’un certain nombre de nos collaborateurs. Néanmoins, nous n’avons pas voulu de licenciements secs, et nous avons privilégié un plan de départs volontaires. À ce jour, une centaine de personnes ont quitté l’entreprise ce qui correspond à 20% environ de notre effectif. À ceci s’ajoutent des efforts salariaux de l’ensemble des personnels de l’entreprise avec une baisse de la rémunération à hauteur de 10%. Cette mesure a été accepté par l’ensemble de nos collaborateurs. Enfin, nous avons réalisé des gains de productivité notamment chez les personnels opérationnels au travers d’accords d’entreprise qui ont pu être révisés.
Je tiens toutefois à préciser que la situation sociale au sein d’Aircalin est bonne. Notre personnel est bien évidemment marqué par cette situation de crise, il s’inquiète pour son avenir mais il a toujours répondu d’une manière extrêmement présente pour que la compagnie assure ses missions qui sont, en ce moment, des missions de service publique : rapatriements des passagers, vols de cargo (au début de la pandémie, nous sommes d’ailleurs allés en Chine afin de récupérer des masques mais également des médicaments, …), ou encore des évacuations sanitaires. Ces missions se font dans des conditions difficiles, notamment pour le personnel navigant de la compagnie (qui sont contraints, à la différence des calédoniens restés sur place, au port du masque, à la distanciation sociale ou encore à l’auto-confinement lorsqu’ils rentrent sur le territoire calédonien ainsi qu’aux tests PCR quotidien). Je crois que l’on peut véritablement rendre hommage au personnel navigant de notre compagnie !
« Nous avons eu, et c’est toujours très difficile, à nous séparer d’un certain nombre de nos collaborateurs. Néanmoins, nous n’avons pas voulu de licenciements secs, et nous avons privilégié un plan de départs volontaires. Une centaine de personnes ont quitté l’entreprise ce qui correspond à 20% environ de notre effectif. » – Didier Tappero, Directeur Général d’Aircalin.
TTC – Quelle est l’importance d’Aircalin pour la France à une période où sa souveraineté est discutée ?
DT – Aircalin est une entreprise stratégique notamment pour la Nouvelle-Calédonie. Elle permet les échanges commerciaux, elle permet à notre territoire ultra-marin de disposer d’un minimum d’autonomie. C’est également une entreprise pourvoyeuse d’emplois (entre 400 et 500 emplois à forte valeur ajoutée puisqu’ils permettent de faire travailler des calédoniens à hautes qualifications). Par ailleurs, et comme pour toute activité, il y a toujours un intérêt à voir injecter le fruit de son travail dans l’économie calédonienne plutôt que de voir partir ces flux à l’extérieur vers d’autres transporteurs. À noter que la moitié de nos recettes viennent des marchés extérieurs à la Nouvelle-Calédonie. Enfin, pour la métropole, il ne faut pas oublier qu’Aircalin est une compagnie française, qu’elle représente les ailes françaises dans le Pacifique sud et je pense que c’est important aussi que la France puisse rayonner dans cette région du monde. Le transport aérien demeure un vecteur important d’une identité et d’une culture nationales.
TTC – Aircalin a débuté en mars 2021 le remboursement des vols annulés. Pouvez-vous nous préciser les différentes modalités prévues ? Comment évaluez-vous l’impact de ces remboursements sur la trésorerie de votre compagnie ? Quels sont les délais de traitements estimés ?
DT – Le remboursement des billets d’avion a été différé d’une année. Cette décision a été prise dans le cadre des mesures qui visaient à maintenir le plus possible notre trésorerie de façon à assurer le fonctionnement d’Aircalin. À noter toutefois que certains facteurs n’avaient pas été anticipés et notamment la durée de cette crise. Il y a d’ailleurs eu une loi, en Nouvelle-Calédonie, qui nous a autorisé à différer ces remboursements après une période de douze mois. Il s’agissait d’un soutien juridique que le gouvernement calédonien a pris en faveur d’Aircalin. Néanmoins, il y avait bien un engagement de la compagnie à rembourser les clients et il n’a jamais été question de ne pas le faire mais bel et bien d’attendre des jours meilleurs pour le faire. Si les jours meilleurs ne sont malheureusement pas encore d’actualité, nous étions tenus, par ces engagements, de commencer le remboursement des billets d’avion concernés. Bien entendu, ces remboursements ont été intégrés à notre budget de manière à ce qu’ils n’empêchent pas notre compagnie de se maintenir à flot jusqu’à la fin 2021.
Pour mémoire, il existe trois types de remboursements possibles chez Aircalin : le remboursement immédiat pour le passager qui en fait la demande, la possibilité de conserver un avoir en cours, ou la possibilité d’obtenir un avoir bonifié de 10% contre l’engagement de réserver un billet à terme. Cette troisième option offre un bonus non négligeable donné aux passagers pour leur achat futur. Enfin, nos délais de remboursement sont courts. En effet, ils sont traités par un système informatique sur-mesure que nous avons développé en interne et nous sommes ravis de voir que ce dernier fonctionne plutôt bien !
« Il ne faut pas oublier qu’Aircalin est une compagnie française, qu’elle représente les ailes française dans le Pacifique sud (…) » – Didier Tappero, Directeur Général d’Aircalin.
Propos recueillis par Tyler et Laure pour The Travelers Club avec l’aimable participation de Didier Tappero.